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"Normalrad" par Saurer & Co. pour l’Armée suisse, 1894
Lorsque je travaille dans les réserves du musée et que je passe près des quelques vélos militaires que nous conservons, ce modèle attire toujours mon attention parmi les célèbres "vélos 05" mono-vitesse qui ont fait transpirer plusieurs générations d’astreints au service au cours du XXe siècle. La finesse du cadre, la forme élancée du guidon et la grosseur des maillons de chaîne sont des indices révélateurs de son ancienneté et peut-être de sa rareté pour les non-connaisseurs.
Vers 1890, l’Armée suisse décide d’équiper ses soldats de bicyclettes car elles permettent aux troupes de se déplacer silencieusement et rapidement avec du matériel, ce qui est une petite révolution pour l’époque en matière de stratégie militaire. Dans un premier temps, les cyclistes doivent entrer en service avec leur propre vélo, après quoi l’armée assure son entretien et rembourse une partie des frais d’achat. Cependant, la diversité de qualité et de prix entre les différents modèles personnels des soldats rend ces démarches compliquées. L’ouvrage de référence en la matière "Das Ordonnanzrad in der Schweizer Armee: 1887-1913" par Carl Hildebrandt présente même des photographies de soldats équipés des fameux grands bis avec leur roue avant démesurée qui se prêtaient plutôt mal à l’exercice.
En 1894, l’entreprise Saurer & Co. d’Arbon livre à l’armée une première petite série de vélos normalisés afin de résoudre les problèmes engendrés par la grande diversité des modèles issus du marché public. A mes yeux de passionné de deux-roues motorisés anciens, ce vélo est une sorte de prototype et donc aujourd’hui le Graal des collectionneurs de vélos d’ordonnance militaire suisse. J’aime observer les détails qui attestent de son authenticité et de son histoire presque intime avec le soldat qui l’utilisait. Je pense aux pièces d’usure comme les pneus, la capricieuse lampe à acétylène ainsi que les poignées et les pédales qui faisaient les frais des chutes. En somme, ce qui fait de ce vélo l’un de mes objets préférés des collections du musée est qu’il soit lié à un changement historique, qu’il n’est pas parfait dans sa conception et qu’il ait été visiblement bien utilisé.